mardi 12 février 2013

PLACE ROYALE - De l’origine à ce jour

          Genèse de la construction de la place Royale
          En 1750, le centre ville était constitué de ruelles tortueuses, étroites et mal pavées, avec un égout circulant au centre avec  souvent des dépôts d’immondices sur les côtés. De plus, les maisons placées en abord étaient souvent dotées d’un étage en saillie. Même les piétons avaient des difficultés pour y circuler.
Le Lieutenant des Habitants, Levesque de Pouilly  (30-08-1691/04-03-1750) proposa le percement du Grand Credo, en rappelant que la reine Marie Leczynska, se rendant à Metz auprès du roi, du plusieurs fois mettre pied à terre car son carrosse ne pouvait passer dans les rues.
          D'après certaines sources, cette anecdote serait fausse au vu des attestations des habitants du quartier, elle n'eut jamais à mettre le pied à terre.
           Ce projet avait pour but d’embellir la ville et de faire disparaître le chancre du Grand Credo. L'anecdote aurait été créée dans ce but.
         
          Le Conseil de Ville par une délibération du 16 décembre 1748 approuva le projet et fit dresser un plan par monsieur de Monthelon, professeur de dessin à Reims. Le projet fut relancé par Trudaine, directeur des Ponts et chaussées qui avait dans ses attributions l'étude du réseau des routes et l'alignement des rues qui les traversent. Le 3 décembre 1752, il fit établir un plan de la ville qui servit à adresser une requête au Roi. Le Conseil du Roi du 20 mai 1755 approuva cette requête.
 
          Cette place devait se situer au croisement des routes de Paris aux frontières de la Champagne et des Flandres  à la Bourgogne. Notons que ce tracé avait été celui du Credo et du Décumanus de la ville gallo-romaine du 2ème siècle après JC. Elle se situait aussi en bordure du Forum romain qu’elle devait empiéter en partie et du Chapitre de Notre Dame. Il y eut une vive opposition de la part du Chapitre de la cathédrale et de l'archevêque propriétaires de nombreuses maisons dans ce secteur et qu’ils voyaient détruites. Il y eut aussi des récriminations de civils, propriétaires ou locataires qui voyaient aussi disparaître des étaux de bouchers.Les chanoines proposèrent d’autres lieux qu’ils estimaient plus centraux, dont la croisée de la Couture (actuelle place d’Erlon) ou la croisée de la Croix Saint Victor (carrefour Chanzy/Talleyrand actuel). ou la porte aux Ferrons (devant la rue du Clou dans le Fer) Les choses allèrent jusqu’au procès et par un arrêté du 6 septembre 1756, le Conseil d’Etat débouta les religieux.

          Les travaux
          Les travaux commencèrent le 5 décembre 1758 sous la direction de l’architecte du Roi, Jean Gabriel Legendre  (ou Le Gendre) décédé en 1770 qui a été imposé à la municipalité. Notons au passage qu’on lui doit aussi le plan de la perspective Place Royale /Hôtel de ville  ainsi que le plan des Promenades. Legendre est venu à Reims pour superviser les travaux. La ville lui allouant comme logement la maison à démolir du chanoine Camus, quitte à lui trouver un autre lieu ensuite.
          Il fallait raser le quartier du Credo où 49 maisons ont été détruites mais, finalement, aucune du Chapitre.
 9 rues ont été supprimées : La rue du Grand Credo
                                                    La rue du Petit Credo
                                                    La rue de l’Orfèvrerie
                                                    La rue de la Larderie,  ce nom est équival à « Bouchers »
                                                    La rue de la Mercerie
                                                    La rue de l’Epicerie
                                                   La Grande route d’Allemagne en Flandres (rue qui se superposait à la rue de la Peirière, le Grand Credo, la rue de Tambourg (sic) et la rue de la Grosse Bouteille.
                                                    La grande route de Paris aux frontières (ou aux frontières de Champagne) qui se superposait à la rue des Tapissiers, la rue des Chaudronniers, la rue Dauphine et la rue Cérès en 1757.
                                                      Partant du Petit Credo, une ruelle sans nom rejoignait la cour du Chapitre.
          Il fallut aussi rectifier et élargir les voies qui arrivaient à la place :
                                                    rue des Tapissiers (rue Carnot actuelle)
                                                    et la rue Dauphine (rue Cérès actuelle)
          Et  créer 3 rues nouvelles ; la rue Royale (rue Colbert actuelle)
                                                   la rue Trudaine
                                                   et la rue Bertin.
          Le 29 septembre 1760, les travaux s’achevèrent sans être conclus. Ils avaient couté 630000 livres. On voyait les maisons qui faisaient la perspective vers l’Hôtel de ville. Il manquait 2 ailes : vers la rue Carnot et vers la rue Cérès où un terrain était prévu pour la  construction d’un Hôtel du Commerce, précurseur des chambres de commerces.
          En effet,Daniel Charles Trudaine (03-01-1703/ 15-01-1789) Intendant des Ponts et Chauussés proposa la construction d’une maison commune pour accueillir un Hôtel des Fermes, la Douane et les Aides ainsi que les logements du receveur, du contrôleur, du visiteur des Douanes, ainsi que du directeur et du receveur des Aides. Le Conseil d’Etat et le Conseil de Ville acceptèrent les travaux, qui devaient être financés par la ville qui ensuite paierait un loyer (les terrains d'assise étant propriété du Chapitre)  Les travaux commencèrent le 10 février 1759 et furent terminés le 30 septembre 1761. La dépense totale fut de 180000 livres avec les indemnités. Il avait fallu détruire 4 maisons de chanoines du Chapitre. Cet édifice fut vendu le 8 février 1791 à monsieur Henriot au titre des Biens Nationaux pour 130000 livres.

          A l'occasion de la démolition de la maison du chanoine Favréau, un apprenti maçon découvrit un trésor dans un pot déposé dans un trou du mur. Ce dernier réclama son obtention au titre "d'inventeur" Le Chapitre réclama aussi son affectation puisque la maison lui appartenait. Finalement, ce trésor fut envoyé à Paris à l'Hôtel des Monnaies qui l'évalua à 20600 livres et le garda !

          Legendre fit poser par un artisan parisien 20 lanternes en 1763 pour une somme de 4000 livres.
          La place fut pavée en 1766.

           La statue de Louis XV.
          Pour celle-ci, dont l’installation était prévue au milieu de la place, on contacta d’abord le sculpteur Adam l'Ainé qui proposa un devis de 160000 livres. Pour ce projet, Louis XV était représenté assis sur son trône en habit de sacre. Mais c’est finalement Jean Baptiste Pigalle (28-01-1714/22-08-1785) qui était le protégé de madame de Pompadour, dont le projet fut retenu par un traité de 1761. Les 2 allégories étaient prévues en plomb et son travail était estimé à 400000 livres. La statue fut fondue dans l’atelier du fondeur Pierre Gorre en janvier 1763. La statue arriva à Reims le 7 juillet, sur 3 chariots spéciaux tirés par 12 chevaux chacun. Le poids exceptionnel de l’ensemble, posa quelques problèmes : On dut renforcer les  3 ponts de la porte de Vesle. Une visite des caves sur le parcours permis de recenser et renforcer celles qui étaient creusées sous la rue.

          Description
          Le Roi est représenté debout, en pieds, vêtu à la romaine, couronné de lauriers. Aux deux côtés du piédestal sont deux figures allégoriques dont l’une exprime la douceur du gouvernement représenté par une femme tenant d’une main un gouvernail et de l’autre un lion, emblème d’un peuple fier mais docile à un gouvernement doux et modéré. La deuxième figure représente la félicité des peuples et est rendue par un citoyen heureux ( que certains trouvent chagriné) jouissant d’un parfait repos, au milieu de l’abondance désignée par la corne qui verse des fruits et des fleurs. L’olivier croit aux pieds du citoyen assis sur des ballots de marchandise. Sa bourse ouverte marque sa sécurité et un agneau qui dort entre les pattes d’un loup est le symbole de la paix et de la tranquillité.

La description de l’œuvre est de la main même de Pigalle.

         La présence de l’agneau va provoquer des remarques de personnes qui craignent que l’on voit dans ce groupe une allusion au fameux dicton «  99 moutons et un champenois font 100 bêtes » et ont demandé le remplacement du mouton par un enfant, ce qui fut classé "sans suite"

          Les festivités prévues débutèrent le 25 août 1765 pendant trois jours. La liesse populaire s’empara de la ville et des Promenades jusque tard le soir. On danse, on chante, on boit! Le 26 aôut 1765, un feu d'artifice tiré par Ruggieri est présenté aux rémois depuis la place de la Couture.

Concurrence
          La place avait d’abord été envisagée de forme ronde. Ce qui fut abandonné rapidement
          L’architecte Jacques Germain  Soufflot (22-07-1713 / 05-01-1780) avait été pressenti par le marquis de Marigny, surintendant des bâtiments dont il était le protégé. Son plan prévoyait une place à demi-circulaire et à pans coupés. La statue de Louis XV étant placée dans une niche avec bas reliefs au milieu de la façade de l’Hôtel des Fermes. C’est donc le projet de Pigalle qui fut choisi.

Les noms successifs de la place.
Place de la Ville en 1765.
          Elle aurait du s’appeler place Louis XV  suivant le souhait du Roi qui avait donné de l’argent pour sa création ; souhait non exhaussé.

Place Nationale .Baptisée en 1792.
Le 23 octobre 1792, une délibération du Conseil Général décrète que les signes indiquant le despotisme doivent disparaître. Deux jours plus tard, la statue fut abattue et la fonte vendue à la fonderie de Metz pour la fabrication de canons.
L’Hôtel des Fermes et l’Hôtel du Commerce sont placés sur la liste des biens nationaux à vendre.
Le 23 octobre 1792, pour fêter la victoire de Valmy, une (mauvaise) statue de la Liberté est placée sur le socle ayant accueilli Louis XV. Il s’agit d’une statue de pierre représentant une femme tenant dans sa main droite une pique surmontée d’un bonnet rouge et dans la main gauche un bouclier sur lequel et écrit « La Loi ».

Place de la Liberté –A l’ occasion de la pose de la statue ci-dessus.

Place du Peuple. Le 10 août 1793, la statue est remplacée par une pyramide triangulaire surmontée d’une Renommée.

Place Nationale- renommée.
Le 6 octobre 1793, le citoyen Philippe Rühl (03-05-1737-28-05-1795 suicide) Conventionnel représentant du peuple dans le département du Bas-Rhin mais envoyé en mission dans la Marne, qui s’était fait apporter la Sainte Ampoule  qui servait pour le sacre des rois la brisa sur le piédestal de la statue et envoya les débris à la Convention.
Pour la petite histoire, notons qu’un chanoine de Saint Remi parvint à récupérer une partie du Saint Chrème. Cela permit la célébration des sacres royaux postérieurs à la Révolution.

Place Impériale. Baptisée en 1804 jusqu’en 1814
         En 1813, on a envisagé de construire une nouvelle fontaine à la place de la Couture avec réutilisation des deux figures allégoriques du piédestal de la statue de la place Royale. On aurait mis au sommet un buste du chanoine Godinot (voir le chapitre « Place d’Erlon ») Ce projet n’eut pas de suite.
En 1815, le préfet de la Marne, le baron de Jessaint avait proposé d’édifier une statue de Louis XVI en plus de celle de Louis XV. 2 devis furent donc demandés mais  restèrent sans suite pour un problème de coùts .
          En 1816, le sculpteur Cartelier (02-12-1757/ 12-06-1835) ou Cartellier ou Carteixier propose un devis au maire de Reims Nicolas Ponsardin pour refaire une statue de Louis XV. Ce devis est accepté le 13 février 1818. Après une souscription, la statue nouvelle fut inaugurée le 25 août 1819. En 1826, la partie de la place entre la rue Cérès et l'Hôtel des Fermes est terminée.
          L’ancien Hôtel des Fermes abrite une entreprise de déménagement.

Place Nationale
          De nouveau baptisée en 1848. Il est  envisagé de remplacer la statue de Louis XV par celle de Colbert dont la maison natale, rue Cérès au coin de la rue Nanteuil est à 50 mètres. L’idée est abandonnée.

Place Royale. Rebaptisée en 1852. En 1885, on proposa de la rebaptiser Place de la République, proposition sans suite.  
          En 1894, on proposa d'utiliser le leg "Subé" de 200000 francs pour la construction d'une fontaine sur la place. (Bien entendun après abattage de la statue de Louis XV) Finalement cette fontaine fut construite place de la Couture (voir le chapitre "Place D'Erlon")
           En 1900, une proposition fut faite de déplacer la statue pour faciliter la circulation . Cette proposition resta sans suite.

La place au début du 20ème siècle.
          En 1904, à la suite d'une délibération du Conseil Municipal sur l'arrasement de la butte Saint Nicaise, le problème de l'abattage de la statue de Louis XV se pose encore mais rien n'est décidé.

        3 lignes de tramway se croisaient sur la place ; d’abord des tramways hippomobiles (depuis la fin du 19ème siècle) puis des tramways électriques. Cette dernière modification eut des conséquences sur le rond-point sur lequel se trouvait la statue de Louis XV. Depuis l’édition Cartelier, celle-ci était entourée d’une grille. Pour éviter des accidents la grille fut déposée en 1910. Les clochards du secteur vinrent alors s’affaler sur les 3 marches de ce rond-point. Ils y ont gagné le surnom de « Louis XV ».

          La place n’était  toujours pas terminée, il restait un espace sur le flanc droit de l’Hôtel des Fermes. Les derniers récalcitrants pour l’uniformisation des bâtiments de la place étaient Narcisse Brunette (15-08-1808/08-10-1895) architecte de la ville de 1837 à 1873 qui ne voulait pas voir démolir sa maison du 17ème siècle dans laquelle il est d’ailleurs décédé. Son fils repris son combat mais finit par céder.
          Le 2ème récalcitrant était un monsieur Bonnerave dont les héritiers finirent aussi par donner leur accord de vente.

20ème siècle
          Depuis le début du 20ème siècle, l’ancien Hôtel des Fermes abrita le magasin de vêtement « Dewachter » puis une entreprise de déménagement, le café de la Douane et un fleuriste. Tous les samedis et dimanches, un marché aux fleurs se tenait sur la place devant le bâtiment et en empiétant sur la voie.  En 1907, on y voyait aussi le magasin des primes des Docks Rémois. Au coin de la rue Bertin et de la place, un commerçant avait apposé sur sa vitrine l'inscription "paind'épicier du Roi' pour marquer son ancienneté.
          Le maire de Reims déjà contacté en 1905 par la banque la "Société Générale" qui voulait construire un bâtiment sur la place en respectant le plan Legendre fut de nouveau contacté par la banque. La dépense totale à envisager pour elle était de 1200000 francs -achat de terrains- dédommagements-construction. La ville consultée accepta de donner 110000 francs pour participation. Le 26 mai 1912, toute la place fut terminée dans le style de Legendre.
 
          Sur le trottoir prés de la maison de monsieur Brunette, on pouvait voir le bureau de location de la Société des Petites Voitures, existante depuis 1874 et qui était relié électriquement avec  son garage installé rue Hannequin dans l’ancienne usine des 3 Piliers (50 voitures et 30 chevaux) ancêtre de nos taxis actuels. Ce bureau disparut lors de la construction de la banque, ce qui fut fait en 1912.

          Il existait aussi une impasse au débouché de la rue Bertin sur la place.Celle-ci était fermée par une grille métallique puis à la demande de la municipalité en 1850 par une clôture en bois.Cette impasse servait au trafic des maisons de commerces de la rue Nanteuil et de la rue Bertin qui y avait accès. Cette impasse existe toujours sans clôture.
          Depuis le début du 20ème siècle, différentes mesures de sauvegarde ont été prises depuis 1904, puis 1920 et 1950 pour le classement de différentes parties de la place.

Années de guerre.
          Reims subit les bombardements allemands depuis le 19 septembre 1914. La plus grande partie de la ville fut détruite.

          La place Royale ne fit pas exception.  Il ne resta bientôt plus que les façades des bâtiments qui ont résisté. Pour protéger la statue de Louis XV, un mur en pierre fut édifié autour du piédestal jusqu’à la hauteur de la statue.
          L’Hôtel des Fermes fut reconstruit en 1930 par l’architecte Max Sainsaulieu et la sous-préfecture qui, jusqu’ici, avait vécu en location dans trois endroits différents depuis l’origine s’y installa. Elle fut inaugurée en 1935 par le Président de la République, Albert Lebrun.

          L’Hôtel des Postes (aujourd’hui bureau de poste Reims-Cérès)  fut reconstruit par l’architecte François Le Cœur qui adapta des bâtiments modernes à l’aile à gauche de la sous-préfecture.

Après la deuxième guerre mondiale.
          On pouvait voir jusque dans les années 1950 au premier étage du bâtiment au coin de la rue Carnot, flotter un drapeau, tantôt vert, tantôt rouge. Il indiquait en hiver la possibilité pour les amateurs de se rendre à l’étang Saint Charles, de l’autre côté du canal au bout de l’avenue Charles Arnould pour s’exercer au patinage.

Dernière anecdote.
          Lors des élections municipales de 2008, un candidat (malheureux) avait inscrit dans son  programme la transformation  du bâtiment de la sous-préfecture en un  hôtel 4 étoiles. La sous-préfecture devant rejoindre la banque de France au large dans ses locaux face à l’hôtel de ville depuis l’adoption de l’Euro.

Bibliographie
La place Royale- Charles Sarazin.
Plan Legendre et courriers
Plans des Archives municipales.
Arrêtés et décrets municipaux de l’époque.
Tarbé-Reims, ses rues –ses monuments
Daniel Pellus – Reims 1600-1800
Place Royale-Catherine Manigod